Le parlement des ombres

« Tu as été présenté à ton assemblée, fort bien. Tu l’as rejointe dans l’Ombre, en a appris les premiers codes. Mais il te reste tout à découvrir »

– Trön vithyak, Maître à l’Assemblée du beffroi noir des Abjurateurs d’elendör.

En un lieu réputé secret, quelque part dans le multivers, se réunissent les Grands maîtres de chaque Assemblée des ombres – hormis celle des Gardiens du fanal. Ensembles, ils définissent la politique et les orientations à prendre au cours des temps à venir pour toutes les assemblées des ombres.

Structure du parlement

Le parlement existe quelque-part. Ce peut être un bâtiment officiel. Il a pu avoir été conçu dans ce but, ou bien est-il une façade, un lieu généralement considéré pour une toute autre activité. Il est décomposé en plusieurs chambres, quelque chose comme des amphithéatres de délibération. Il a de nombreux serviteurs directement rattachés à lui, et ne dépendant d’aucune Assemblée des ombres. Tous ne sont pas des ombrageurs. Certains de ses serviteurs ne savent probablement même pas par qui ils sont employés. Et il est possible que le lieu de réunion ne soit pas un, mais plusieurs.

Il n’y a pas, pour autant qu’on le sache, de Président au Parlement des ombres. Ses membres discutent entre eux. Parviennent à des consensus.

Il y a un doute sur qui siège en réalité au parlement. Quoi qu’il soit admis que chaque assemblée y soit, les assemblées ne sont pas toujours au courant de ses décisions. Certes les assemblées siègent au parlement, mais le parlement est encore autre chose.

Historiquement, le parlement des ombres existe depuis toujours, ou presque. Certaines de ses archives datent des premières sociétés du monde. Il remonte probablement d’aussi loin que le temps des premiers mages. Peut-être que le parlement n’était à l’origine qu’une discussion au coin du feu, dans une nuit sauvage. Une discussion qui se prolonge – peut-être ses membres sont immortels.

Le parlement promeut certains noms auprès des Assemblées. Le plus célèbre est peut-être le mage des astres, mais il n’est pas le seul. Ces figures mythiques ont en commun d’avoir compris, en des temps troubles et reculés, à la fois des vérités physiques du monde, et des vérités sacrées. Comme allant ensemble.

Philosophie du parlement

On peut répondre simplement à cette question. Mais une réponse simple a pour conséquence d’ouvrir un abyme de positions possibles. Apparemment, c’est dans cet abyme qu’aime se définir le parlement. Évidemment, les motifs véritables et l’orientation actuelle sont ainsi occultés. Mais qu’il s’agisse d’une organisation philanthropique ou d’une société vouée au mal, tout demeure possible. Il ne s’agit peut-être ni de l’une, ni de l’autre.

En apparence, le parlement recherche le consensus, aussi petit soit-il. Ce consensus s’exprime assez simplement : il existe deux natures aux choses. Une nature physique, et une nature surnaturelle. L’une ne va pas sans l’autre. Le verdict du parlement est donc simple : il faut entretenir nature et surnature, savoirs de l’une et de l’autre, et rejeter toute position qui viserait à opposer l’une à l’autre comme contraire aux intérêts des hommes. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’Assemblée des Gardiens du Fanal a été bannie du Parlement des ombres. Pour le parlement, l’occulte existe, en tant que part de l’humanité.

Actes du parlement (et perception de ceux-ci)

Outre réguler en cas de crise l’articulation des Assemblées dans les sociétés humanoïdes où vivent leurs membres, leur apporter des interventions aussi rares que capitales, le parlement semble se livrer à un certain nombre d’activités totalement inconnues. Mais on sait au moins qu’il verse occasionnellement dans la recherche, une recherche que l’on pourrait qualifier de fondamentale. Cela n’a rien d’étonnant : historiquement, les ombrageurs sont des mages.

Pour autant, la plupart des maîtres des Assemblées des ombres ne comprennent pas toujours ni ne sont au fait de ces recherches. Toute la structure des organisations de l’ombre est occulte, mystifiée, dès l’entrée dans une Assemblée. Et chaque rang se pare de ses secrets et de ses rites. À ce titre, le parlement est une sorte de super-rang. Un univers obscur entier, au delà de l’univers obscur de chaque rang dans chaque assemblée qui le sépare de lui. Même les maîtres des assemblées ne le comprennent pas toujours – mais pourtant tous le respectent.

Quand le parlement agit, il n’utilise que rarement le canal d’une assemblée. Certes, dans la mesure où chaque membre y siégeant est (fut étant probablement le terme le plus exact) un grand maître d’une assemblée, ses directives peuvent façonner chaque rang au sein de chaque assemblée (avec le rideau opaque et l’initiation progressive qui est la norme chez elles). Mais il semblerait que le Parlement puisse utiliser ses propres canaux au besoin, et que sa nature soit tout simplement différente de celles des assemblées dans leur ensemble. Quoi qu’il en soit, une intervention du Parlement auprès d’une Assemblée a généralement le ton d’une autorité suprême.

Édits du parlement

« Au-delà du feu, entre les mondes, dans tous les espaces vides, à la fin de toute chose : nous sommes là. La matière, la lumière, la vie sont passagères, l’Ombre, et elle seule, est éternelle. »

– Eddas Coradran, représentant de la première chambre du Parlement des ombres.

Le parlement prononce parfois des édits, qui prennent l’allure de vérité suprême. Ceux-ci semblent tous marqués par la volonté de le distinguer des mages, tout en marquant ses origines dans leurs rangs. En voici trois des plus célèbres, présentés à chaque fois avec une introduction de principes.

La surnature occulte des choses est l’autre moitié de la définition des choses. C’est une définition cachée : dans un monde d’évidence, toute la question est dans l’ombre.

« Tout finit dans les ombres même la lumière. Les ombres ne sont pas une simple absence de lumière, elles sont l’expression de l’essence des ténèbres. Les ombres et les ténèbres se sont pas la mort ou l’entropie mais l’état originel de l’univers, sa seule constante dans le passé immémorial, le présent et dans le futur, même lorsque toute les autres forces seront éteintes. Il en va de même du plan de l’Ombre ou Pénombre, le miroir noirci du plan Matériel et de tant d’autres réalités. Les ombrageurs puisent dans l’énergie fondamentale de ce plan pour imposer leur volonté au monde. En se liant au plan de l’Ombre, ils gardent un contact ténu avec la force première de l’existence. »

Les ombrageurs ont une mission prométhéenne qui s’inscrit à double-sens dans la morale affaiblie des sociétés contemporaines.

« L’ombrageur comprend le véritable et formidable pouvoir des ténèbres, entre en harmonie avec le plan de l’Ombre et apprend les grands mystères de l’ombre qui valent n’importe quel sort. Ces sombres pratiquants d’une magie étrange ont une compréhension occulte du monde et de la magie que même les lanceurs de sorts trouvent déroutante. Ils sont les dépositaires d’un pouvoir ténébreux ou peut-être, comme certains le craignent, ses serviteurs. »

La physique du monde retrace l’histoire de sa création, et inclut dans celle-ci la surnature des choses.

« Les ombrageurs ont pour argument que s’il existe une multitude de mondes matériels, il n’existe qu’un seul plan de l’Ombre. Et tous ces mondes ont leur reflet dans ce plan, qui leur est à tous coexistant (il n’y a pas d’ombre sur les plans extérieurs). Ils pensent donc que le plan de l’Ombre est la source de l’univers, que tout provient de lui. Pénombre est en quelque sorte l’origine de toute chose et la force qui maintient toute chose réelle. C’est pourquoi, selon eux, la faculté découverte par les mages qu’a l’ombre de manifester les illusions provient d’une nature fondamentale de l’ombre, insufflée dans les choses. Cette nature est une sorte de matière fondamentale mais cachée, qu’ils nomment Matière-ombre. »

NOTES DU COMPILATEUR DE CES ÉDITS À DESTINATION DE SES LECTEURS

La théorie de la matière ombre n’est pas, à la base, de leur fait. Elle est issue d’une découverte qui firent les illusionnistes, à savoir celle d’un moyen de renforcer les illusions, leur donner une forme de réalité, en utilisant la puissance de l’Ombre. L’ombre est connue depuis longtemps des mages, mais dans des domaines balisés, dans lesquels elle a prouvé son efficacité. Cette source atteste de l’origine des ombrageurs parmi les mages.

Pour les ombrageurs, le plan de l’ombre est doublement la source de toute chose. il l’est parce qu’il est l’origine de l’univers, le lieu à partir duquel il est né, ou bien le lieu qui servit à sa naissance (ce qu’ils confondent facilement). Et il l’est parce qu’il sous tend à la réalité des choses par la matière-ombre.

Ces théories sont doublement décriées par les magiciens. D’abord parce que si la matière-ombre donne bien quelque chose de réel (ou de semi-réel) aux illusions, rien n’atteste qu’elle se comporte ainsi pour les choses véritablement matérielles, ni qu’elle n’ait un quelconque rapport à celles-ci. Ensuite et surtout parce que nombre de mages ne croient pas à la théorie d’un fondement de l’univers dans Pénombre. La théorie couramment admise parmi eux est que Pénombre constitue un lieu d’entropie : plus l’univers s’est ordonné, plus cette ordonnance devait se compenser quelque part, et ce quelque part c’est Pénombre.

Par ailleurs, si quelque chose de Pénombre semble effectivement fondamental, rien n’indique qu’il s’agisse du véritable fondement des choses. Pénombre pourrait tout à fait être une trace de la genèse du multivers, ou un reflet de celle-ci, et non celle-ci. D’où que la matière ombre ne soit véritablement effective que sur l’illusoire.

Pour beaucoup de mages, il n’est pas utile ou pertinent de faire porter la magie sur son fondement, quand bien même ça en serait un (et pas une trace ou un reflet de ce fondement, voire une construction ultérieure, devenue telle par une sorte d’absorption du réel) : c’est trop basique, trop lourd, et surtout trop rapidement conclu. C’est un détour qui n’a pas de sens, ou s’obstine sur un usage primitif ou une matière primitive liée à des pratiques obscurantistes et peut-être née d’elles. La magie des ombres produit moins d’effet. Elle joue avec certaines lois qu’elle explique mal, créant plus de dangers qu’elle n’en résout. En soit, c’est déjà une preuve que quelque chose ne va pas dans les théories des ombrageurs.

Texte de Snorcraff, reprenant quelques parties du Recueil de magie de D&D 3.5.